Le tableau représenté sur le timbre de Noël 1970, est un chef duvre de Jean Gossaert, le premier de nos peintres qui introduisit dans nos régions les principes fondamentaux de la Renaissance italienne. La date de sa naissance est inconnue, bien quil soit généralement admis quil a vu le jour en 1478 à Maubeuge dans le Hainaut, doù son surnom de Mabuse.
Selon la coutume humaniste , il latinisa lui-même sa signature en Johannes Malbodius, mais les documents darchives le citent successivement comme Jan de Waele, Jennin de Hainaut, Janin de Waele, Jehanin de Maubeuge et évidemment Jennin Gossart, cependant quAlbert Dürer le cite dans son journal de route comme Johann de Abüse. Il na pas été établi où et par qui il reçut sa formation, mais il était déjà un maître dans son art lorsquil fut admis à la Gilde de Saint-Luc en 1503. Son succès était à ce point fulgurant, quil entra bientôt au service de Philippe de Bourgogne, amiral et évêque dUtrecht, fils naturel de Philippe le Bon et frère consanguin de Charles le Téméraire. Il suivit son maître à Rome (1508-1509) où il entreprit létude des Anciens et fut très impressionné par le style de la renaissance et les théories des Humanistes. Il travailla ensuite pendant 15 années dans les villes résidentielles de son seigneur, principalement en Zélande, mais aussi à la Cour de Marguerite dAutriche à Malines et plus tard, pour Adolphe de Bourgogne, marquis de Veere, qui avait sa Cour à Middelburg, résidence de Jean Gossaert jusquà sa mort en 1532. Les cours royales où il travailla étaient des centres de rayonnement culturel largement ouverts aux idées humanistes dans les domaines de la religion, de la philosophie et des arts.
Mabuse vécut au tournant de deux époques. Sa foi, sincère mais sans mysticisme, sa technique parfaite, son adresse au dessin et son coloris chatoyant il les doit aux maîtres du 15e siècle. Jean van Eyck était son idéal, mais après son voyage à Rome, il abandonnera progressivement lesprit médiéval et les formules de style gothique dans lequel son art avait atteint sa maturité.
La Sainte Vierge supplante la figure du Christ. Les autres sujets bibliques cèdent le pas aux scènes mythologiques inspirées par lAntiquité, exécutées daprès lexemple des maîtres italiens, dans un style animé où lanatomie et la plastique ont priorité sur lesprit et la sensibilité. Lassurance sereine qui se dégage de ses portraits, démontre à suffisance que désormais Gossaert place lhomme au centre de la création.
Il voua à Notre dame un culte auquel il consacra une grande partie de son uvre et créa ainsi, inconsciemment un modèle qui a été largement imité de par le monde. La Vierge et lEnfant intitulé aussi la Madone à la Grappe est à maints égards un exemple parfait de lidéal de Mabuse, au moment où il posséda dans toute lexpression du terme « la vraie manière » (selon les paroles de Karel van Mander). Observez comment limage de Marie se détache dune niche en pierre, telle une silhouette sculptée, donnant de la profondeur à luvre. Ce souci du relief, de la forme dans lespace, ronde et plastique telle une sculpture aux jeux de lumière voyez la joue gauche se perdant en subtiles gradations, est une des plus précieuses caractéristiques de son savoir faire. La couleur, éclatante et harmonieuse, lisse comme lémail et translucide jusque dans les ombres, a hérité et conservé lardeur et léclat des Primitifs Flamands.
La ligne, sémillante et dune souplesse inégalée, embrasse cette sculpture robuste dun jeu capricieux de plis, de boucles et darabesques qui reflètent la virtuosité et annonce le maniérisme de lEcole Anversoise. La dévote retenue des Vierges brugeoises du siècle précédent nest plus dépassée. La sainte Vierge est devenue limage idéale de la beauté féminine, de lamabilité et de la pureté, la bouche trahissant la joie de vivre. Devant cette uvre, lesprit de toute une époque nous saisit. Mabuse a été pour son temps un novateur, un maître génial qui, sans doute, vint au monde quelque peu en dehors de son temps.